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Stephan Barillon

Publié : 02 avr. 2006, 02:13
par Bruno Chaza
Un plaisir de partager avec Stefan Barillon
....Voilà l'échange de ce moment passé avec Stephan
Bruno Chaza

1 - Peux-tu nous expliquer comment tu as commencé ton activité de luthier ? La lutherie, comme tout travail artisanal, demande un savoir ; comment as-tu apprivoisé les techniques spécifiques du métier, 2 as-tu suivi une école, travaillé avec un maître artisan ou es-tu autodidacte ?
J'ai toujours été très bricoleur et le travail manuel minutieux m'a toujours intéressé; fabriquer ma première guitare a été un défi passionnant qui m'a pris près d'un an. J'ai décidé, après une période d' hésitation, d'en faire mon métier et j'ai choisi une formation de qualité aux Etats Unis ,à Phoenix, Arizona.
Une formation intensive et très riche en enseignement. N'oublions pas que c'est le pays de la guitare "moderne". Le cursus traitait de fabrication (électrique et acoustique) ainsi que de réparations.
A mon retour, je me suis installé, d' abord dans un garage familial, puis dans mon atelier actuel sur Aix en Provence.
L’échange entre confrères est aussi un paramètre à noter, il n'y a pratiquement pas de concurrence entre nous et l'ambiance lors de salons ou d'expos est toujours sympathique, voire festive.

3 – Peux-tu nous expliquer le story-board de la fabrication d’une basse, de la conception à la finition ?
On peut fabriquer une basse de mille façons différentes: manche collé, traversant, vissé, attaquer par le manche ou par le corps, travailler avec des machines ou faire tout à la main.
Regardez les bouquins dédiés à la fabrication amateur, ils n'ont pas tous le même cheminement. Pourtant, à la fin, on a une basse et heureusement, c'est là qu'est l'intérêt de l'artisan luthier car il fait transparaître à travers son travail toute sa personnalité. Demandez à plusieurs luthiers de vous réaliser la même basse et je suis sûr qu'elles ne seront pas tout à fait les mêmes.

4 - En quoi les bois utilisés t’aident-ils dans la quête du son recherché ?
La vibration de la corde est directement influencée par le bois. En effet, ce dernier permet à l'instrument de sonner (l'aurait-on oublié), un des mécanismes importants pour moi (je prends mes précautions) est que, lors de l'attaque, on excite la corde en la faisant vibrer, puis cette vibration vient heurter le sillet (ou la fret) et le chevalet qui la transmettent au bois (manche et corps) qui lui même va re-exciter la corde et ainsi de suite.
La sinusoïde décrite par la corde est alors directement influencée par la densité, la structure ou le débit des essences de bois sélectionnées.
En règle générale, l'acajou est assez profond et a pas mal de sustain, l'érable privilégiera plutôt les aigus alors que le noyer sera beaucoup plus doux au son.
Beaucoup de collages modifient aussi le son.

5 - Quel regard as-tu sur les différentes écoles, celles au manche traversant, collé et vissé, qu’amènent justement ces trois conceptions différentes dans le rendu sonore fini de l’instrument ?
Je réalise les trois types de manches, ce n'est pas le même son, c'est vrai, mais ce n'est pas le même prix non plus.
Le manche collé n'est pas très familier chez les bassistes.
Théoriquement, sur un traversant, le sillet, les frets et le chevalet sont sur la même pièce de bois, donc très solidaires, rien ne vient affaiblir les vibrations entre le corps et le manche (cf question 1). Sur un manche vissé industriel (vis type "vis à bois" ), les déperditions d'énergie sont relativement importantes du fait, d'une part, de la petite surface de contact entre les 2 parties (l'échange d'énergie se fait uniquement sur une surface réduite autour de la vis) et, d'autre part, le couple de serrage très faible.
J'utilise, pour mes manches vissés, 4 ou 5 boulons (suivant le nombre de cordes) qui viennent se visser dans un insert serti dans le manche. Le couple élevé de ce genre de serrage permet de sauvegarder un maximum de vibrations et, associé à un bon ajustage entre le corps et le manche, on ne note presque pas de différence.

6 – Est-ce que l’emplacement des micros influence la sonorité d’un instrument, peux-tu nous en dire un peu plus là-dessus ?
Le micro est composé d'une bobine qui a un aimant en son centre. Quand la corde vibre, elle perturbe le champ magnétique et cette variation de champ induit un courant dans la bobine (fait avancer les électrons) .Si on regarde la corde vibrer, on s'aperçoit que la vibration n'est pas partout la même. L'amplitude augmente dès qu'on va vers la 12eme fret, donc plus l'amplitude est petite plus on aura de précision mais un petit volume et, plus l'amplitude est grande, plus on aura de basse et de volume. Après, il y les nœuds, c'est-à-dire des points bien précis où la corde ne vibre presque pas et donc ne crée pas de courant dans la bobine et donc pas de son.
Alors oui, la position des micros est importante pour la sonorité de l'instrument.

7 - Puisqu’on parle micro, peux-tu nous éclairer sur les spécificités avantages et inconvénients des micros à simple et à double bobinage ?
Le simple est généralement clair et précis , très naturel, surtout pour les basses; par contre il est plus sensible aux parasites. Le double est lui plus rond, moins défini mais plus puissant et silencieux.
Je dois dire que j'ai un faible pour les micros Benedetti. Je travaille avec eux depuis mes débuts et je n'ai jamais été déçu. Avec le temps, on a réalisé un modèle sur mesure qui équipe les basses de la gamme Cyclop.
C'est un simple bobinage qui peut restituer à merveille tout le registre de la basse avec un naturel et une profondeur extraordinaires et même les 7 cordes qui vont du Si grave au Fa aigu (c'est la 13ème case de la corde de Mi aigu d'une guitare) sonnent très équilibrées et le volume est identique sur toutes les cordes.

8 - On parle souvent de diapason pour les instruments, peux-tu nous en révéler les mystères, une sorte de glossaire, de façon à ce que les néophytes puissent commencer à comprendre l’importance des données techniques ?
Les diapasons…plus c'est long, plus c'est ... non j'déconne.
Sérieusement ... Avec un tirant de corde équivalent : plus le diapason est long plus la corde est tendue et les cases grandes, plus la corde est tendue, plus elle va faire bouger le bois et donner du son.

Léo a fait les JB avec un diapason de 34 pouces qui est la norme (que j'utilise), puis certains américains, avec l'arrivée de la corde de Si Grave, ont jugé bon de faire des basses avec un diapason plus grand, donc 35 , 36 et même 37 pouces car ils jugeaient que la grosse corde ne sonnait pas pareil que les autres.
L'idée est bonne mais ceci aboutit relativement vite à des basses énormes, encombrantes et un bon gabarit est nécessaire pour dominer la bête.
J'utilise le 34 pouces et n'ai jamais eu de souci avec mes Si graves (merci Benedetti).

9 - La fret zéro, à ton avis, c’est un plus pour l’instrument ou un gadget ?

1- niveau son, certains disent que l'on garde le même timbre corde à vide que fréttée (je veux bien).
2- niveau confort, la hauteur de la fret étant la même que les autres, cela donne la sensation d'une corde plus basse, donc plus facile à jouer. Cependant, cela ne reste vrai que pour les bassistes ayant une attaque modérée sur un manche relativement creux car sinon, ça frise à vide.
Quant à mettre une première frette plus haute que les autres, on perd la 2ème idée. Je préfère utiliser un sillet que l'on peut ajuster précisément. De plus, j'aime les manches très droits avec un sillet laiton par exemple (sans que ça frise à vide, j'ai toujours trouvé mon bonheur avec les sillets et je pense continuer de la sorte).

10 - Quels sont tes projets futurs, vers quelles inventions ou innovations aimerais-tu te tourner ?
Un nouveau modèle de basse, plus massif que les formes actuelles orientées jazz, quelque chose d'un peu plus généreux dans l'esprit Alembic pour les bassistes qui aiment en avoir sous les doigts.

11 - Explique nous quel serait à ton avis la basse idéale ?
Les miennes.

12 - De quel modèle, série, ou instrument es-tu le plus fier ?
Le modèle Cyclop que j'ai développé avec Jeff Corallini est certainement celui dont je suis le plus fier.

13 - Quel rapport entretiens-tu avec les bassistes, endorses-tu ? souhaiterais-tu le faire ?
Je suis très sensible aux critiques (positives mais encore plus négatives) des musiciens sur mes fabrications. Le tout, c'est que ce soit constructif et que ça fasse avancer le schmilblik.
L' endorsement est quelque chose de délicat , c'est un plaisir que je me fais de temps en temps quand je tombe sur quelqu'un qui me donne envie, il faut que ça se fasse tout seul.
Je vais faire une guitare Archtop pour Joël Gombert, un très bon guitariste de jazz dans la veine Tuck Andress.

14 - Avec qui aimerais-tu travailler ?
J'aimerais bien bosser avec tout le monde dans la mesure où le travail réalisé est apprécié.

15 – Joues-tu d’un instrument, peux-tu nous en dire plus sur ce sujet ?
A la base, je suis batteur. J'ai joué dans quelques groupes de rock et j'ai essayé la variété mais j'ai dû mal tomber, ça m'a pas plu. Sinon, je gratouille un peu.
J'aime évidemment tous les standards : Deep Purple, Led Zep, Weather Report, Queen, etc… Mais aussi des trucs plus récents, style Incubus , Korn ou Muse et en français, eh bien... je regrette que ce soit si étriqué car on a de sacrés musiciens mais ils n'ont pas la cote avec les producteurs. Enfin si, y'a quand même, évidemment une référence: Calogero ... Non, j'déconne… J'écoute "M" parce que ça joue, Cabrel et Renaud par nostalgie, et aussi pas mal de bons groupes locaux qui ne jouent pas en play-back.

17 - Face aux productions bon marché qu’aurais-tu à dire aux bassistes qui souhaitent investir dans un instrument ?
D'acheter ce qui leur plaît, se laisser conseiller mais pas influencer et attention à Internet, on est pas toujours satisfait.

18 - Qu’aurais-tu à dire à celles et ceux qui voudraient devenir luthiers aujourd’hui ?
Que c'est une bonne idée et qu'il faut s'accrocher et ne rien négliger.
Il y a de plus en plus de jeunes luthiers qui s'installent. Je pense que c'est un bon signe, un marché où règne la concurrence est sain et le soleil brille pour tout le monde.
Les bricolos du vibrato n'ont qu'à bien se tenir !!!

S'il y a un message que je pourrais faire parvenir aux jeunes luthiers, c'est de ne pas se tromper de cible quant à la concurrence. Je m'explique :
nous (facture instrumentale artisanale) représentons peut-être 2 ou 3 % du marché des instruments de musique, alors s'il faut gagner du terrain, c'est sûrement pas en se faisant la guerre mais en prenant sur les industriels et les distributeurs. Et, pour cela, faut pas s'endormir sur l'établi, les Jacobacci et autres Papalardo fabriquaient et fabriquent toujours plusieurs dizaines d'instruments par an.
Faire du luxe c'est bien, mais faut d'abord que la guitare soit irréprochable à tous les niveaux (quand on débute, c'est pas si évident) et ensuite arriver à la vendre.
N'oublions pas que faire de bonnes guitares chères avec de bons matériaux, c'est facile, mais faire de bonnes guitares abordables, avec des matériaux plus simples, c’est nettement moins évident.

19 – Peux-tu nous décrire ton atelier et les différentes machines nécessaires à l’élaboration de l’instrument ?
J'ai un espace réservé à l'exposition des instruments (show-room). L'atelier est pourvu d'un auditorium, ce qui me permet de faire essayer, sans gêner la conversation si j'ai un autre client dans l'atelier; un coin ouvert sur le show-room pour les réglages puis l'atelier à proprement parler où j'ai des machines type ponceuse, calibreuse, scie à ruban, raboteuse, dégauchisseuse, etc...

20 – Travailles-tu seul ou en équipe ?

Pour l'instant, je travaille seul.

21 - As-tu des choses à ajouter ou un message à faire passer ?
Tout comme le fait que je regrette énormément que l'on ne voit presque plus de vedettes françaises sur les plateaux de télé ou dans les festivals chez nous (et encore ceux qu'on voit n'ont pas forcément leur place), je trouve navrant le fait que le peu de Français qui sont sous les projecteurs s'affichent exclusivement avec des instruments d'origine industrielle, souvent par raison financière (c'est le problème de l'endorsement), laissant croire au public que l'instrument a été choisi pour ses qualités exceptionnelles.
Un peu d'originalité ne ferait pas de mal et, en même temps, les starlettes du showbiz se démarqueraient un peu de tout ce qui se fait de l'autre côté de l'Atlantique au lieu de suivre ou pire de voir passer le train.
Les plus rigolos sont les artistes "rebels" (du babibel) qui critiquent ouvertement les USA ,ce qui n'est pas chose rare comme thème de chanson, et qui ne jouent exclusivement que sur les marques américaines ,y'a quelque chose qui est bizarre, non? (faites ce que je dis mais pas ce que je fais). Quelle classe!!!

Stephan Barillon - Bruno Chaza

Publié : 03 avr. 2006, 10:05
par madogs
merci pour l'interview, j'aime bcp l'esprit tous ensemble pour faire des instruments de qualité.

Si jamais, il désire m'endorser c'est volontiers.... :lol:

J'ai trouvé ce site, http://www.guitares-barrillon.com/barrillon.htm , sur lequel on peut admirer le travail.