Un plaisir de partager avec Tony Bonfils
....Voilà l'échange de ce moment passé avec Tony
Bruno Chaza
www.brunochaza.com
Actualité
Bonjour Tony, pourrais-tu nous parler de ton actualité et de tes projets ?
Mon quotidien de musicien « mercenaire » (et très heureux de l’être) est les séances d’enregistrement pour des albums, des musiques de film et des pubs.
J’accompagne également Charles Aznavour sur scène ; nos prochains concerts sont prévus au Canada et aux États-Unis.
Je participe en outre à des concerts de musique contemporaine à la basse électrique avec l’ensemble Itinéraires.
Dans le cadre des projets plus personnels, je joue régulièrement avec le trio TLB (Claude Terranova, Christian Lété et moi-même) : nous faisons de la musique entièrement improvisée sur une tendance jazz où je joue de la contrebasse.
Je suis en train de monter un groupe de reprises de rock avec des potes de chez Aznavour dans lequel j’ai ressorti ma Music-Man Sting Ray 5 cordes avec des cordes filets plats ! Je participe aussi à la fanfare de l’UMJ (Union des Musiciens de Jazz) au Tuba (instrument que j’ai débuté récemment).
Dans mes projets à court terme, j’ai monté un spectacle de chansons Françaises des années 30/40 qui s’appelle « Le P’tit Bal » avec moi-même à la contrebasse, Christian Lété à la batterie, Jacky Tricoire à la guitare et deux chanteuses comédiennes Florence Pelly et ma fille Magali Bonfils.
Enfin, je m’occupe d’un garçon très talentueux qui s’appelle Stéphane Petithomme et qui chante en s’accompagnant à la basse en tapping des titres originaux ainsi que des standards de jazz sur lesquels il a écrit des textes en français. Nous travaillons à la réalisation d’un album qui devrait sortir bientôt.
Est-ce que tu écoutes encore maintenant des musiciens qui te donnent de l’énergie et de la force, peux-tu nous en parler ?
Ça m’arrive assez souvent, en fait, je suis très sensible aux gens qui maîtrisent une forme d’expression musicale quelle qu’elle soit, mais qui surtout ont envie de la partager avec d’autres musiciens, sans a priori et bien sûr avec le public. J’ai de très nombreux exemples que je pourrai citer, dans les plus récents, j'ai écouté récemment Frank Nelson, un bassiste qui possède une rare facilité à faire « tourner », et dans un tout autre esprit Jean-François Zygel, un pianiste, compositeur, musicologue qui fait partager sa passion dans des séances de « vulgarisation » à la mairie du 20ᵉ arrondissement de Paris.
Le matériel, la lutherie
Quel instrument utilises-tu ?
Ma basse de référence est une T-Bass Trace-Elliott (fabriquée par Status) cinq cordes avec électronique active. J’utilise assez fréquemment une Music-Man Sting Ray cinq cordes filets plats, ainsi qu’une Jacobacci cinq cordes. Toutes mes cinq cordes sont équipées d’un Si grave. J’ai également une Ibanez Musician 4 cordes des années 80 défrettée par Roger Jacobacci. Enfin, dans certains cas, j'utilise une ESP montée en piccolo (sol-ré-la-mi-si).
Pour la contrebasse, j'utilise majoritairement une quatre cordes allemande Durshmitt du début du 20ᵉ siècle qui sonne aussi bien en pizzicato qu’à l’archet, j’ai une cinq cordes Jean Lavello de 1957 montée avec un si grave et une quatre cordes électrique fabriquée par Patrick Charton à Saint-Étienne.
Le passé musical, l’évolution
Ton passé musical en tant qu’étudiant est-il uniquement jazz ?
Non bien sûr. J’ai commencé la basse en autodidacte à 16 ans en jouant avec des groupes de lycée. Puis j’ai fait du bal et des groupes de soul music avant de commencer à m’intéresser au jazz. Parallèlement, j’ai passé un prix de contrebasse au conservatoire de Nice avec André Marillier. Puis j’ai travaillé l’harmonie classique avec Julien Falk et l’orchestration avec Ivan Jullien. En réalité, je n’ai jamais étudié le jazz autrement que « sur le tas » pour la bonne et simple raison que les premières écoles de jazz françaises ont été créées il y a une vingtaine d’années et que j’ai commencé ma carrière il n’y a pas loin de quarante ans !
As-tu l’impression de t’être approprié des clés dans ton parcours, une façon particulière de traiter une cadence ou un accord, bref comment et par quel moyen la technique a laissé le pas à la liberté dans ton jeu ?
Le fait de travailler la technique ne doit pas être un cache-misère. J’ai toujours considéré la basse comme un pivot dans les différentes formations auxquelles j’ai pu participer, tant sur le plan rythmique que sur le plan harmonique. Pour moi la liberté consiste à choisir les bonnes notes en relation avec ce que j’entends et à développer au maximum la cohérence musicale en adaptant le « groove » le son et le « feeling » pour que mes acolytes se sentent à l’aise, je n’ai pas la mentalité d’un soliste, je cherche surtout à faire « tourner ». Le moyen de traiter une cadence ou un accord ne prend de sens qu’en fonction du contexte dans lequel je me trouve. Ce que je pense en revanche avoir développé de plus personnel est une certaine manière d’utiliser les « ghosts notes », les harmoniques et certains effets en les incorporant dans le « groove », pour moi la principale qualité d’un bassiste doit être le sens rythmique.
Quelles ont été les clés de ton évolution, ce qui t’a réellement permis d’avancer, musiciens, un livre d’étude particulier, la compréhension d’un standard, un déclic personnel, une façon particulière de travailler ?
C’est difficile à dire. Je crois que c’est à la fois la rencontre avec des musiciens, particulièrement celle de Dédé Cecarelli avec lequel j’ai fait tandem pendant de nombreuses années, mais également beaucoup d’autres musiciens que j’ai côtoyé et dont j’ai apprécié les qualités humaines et musicales. J’ai eu la chance de pratiquer de nombreux styles et comme je suis d’un naturel curieux, j'ai posé beaucoup de questions et on m’a donné beaucoup de réponses. La manière de travailler évolue au fil des années et l’on accumule des tas de connaissances dans sa « besace », on se surprend quelquefois soi-même en situation de ressortir des « plans » qu’on avait parfaitement oubliés. Je crois beaucoup à l’immédiateté de la musique et à la prise de risque, mais ça ne fonctionne bien qu’avec des gens réellement ouverts.
Dans quelle configuration es-tu le plus à l’aise : trio, quartet, studio ? Y-a-t-il, selon toi, une formule qui fait passer le mieux ce que tu as à dire ou est-ce suivant l’humeur ?
Il n’y a pas pour moi de formule idéale. Bien sûr, plus on est nombreux, plus la cohésion s’avère quelquefois difficile. Mais disons que j’essaie toujours et quel que soit le style d’aller dans le sens de la cohérence musicale.
As-tu un tempo, ton tempo privilégié, lequel ? Quelles sont les tonalités que tu apprécies et dans lesquelles tu navigues en lieu sûr ?
Je ne suis pas le champion du monde des tempi rapides, mais quand il faut y aller, il faut y aller. Disons que ma réponse est identique à celle des questions précédentes, plus ça tourne et mieux c’est. Quant aux tonalités, je m’efforce depuis longtemps de jouer les thèmes que je connais (et aussi ceux que je ne connais pas) dans tous les tons. J’essaye de penser les rapports harmoniques en termes de degrés et non pas en valeur absolue, cela permet d’être à l’aise en toutes situations, particulièrement pour accompagner les vocalistes qui à juste titre chantent rarement les thèmes dans les tonalités originales pour des questions de tessiture.
Sur quel album aimerais-tu que l’on t’écoute ? demain je veux acheter un Cd où tu joues, qu’est ce que tu me conseilles?
D.D Bridegwater live in Paris, Bad-news-travels-past (deux albums enregistrés dans les années 80 avec Dédé CecarelliI, Bernard Arcadio, J-Claude Chanavat et les Brecker brothers), Synthésis (groupe formé par Ivan Julien) L’orchestre d’Ivan Jullien, et le futur album de T.L.B. dans les bacs en septembre sont des albums dont je suis assez fier sur le plan personnel.
Considères-tu la basse comme l’instrument du groove ou es-tu de ceux qui aiment aussi la liberté en solo et en accords ?
Dans le cadre d’une formation, la basse est pour moi avant tout l’instrument du groove comme je l’ai déjà dit. Mais rien n’empêche les expériences qui permettent d’élargir la palette sonore de la basse. J’ai enregistré un album « Travelling Bass » chez Koka Média où tout est fait par des basses sur des batteries programmées. Cet album est majoritairement utilisé dans le domaine de l’illustration sonore. J’ai un deuxième album de ce type en préparation avec une autre compagnie.
Deux basses dans un orchestre comme Coltrane l’a expérimenté, tu penses que ça peut orienter la musique vers quelle direction ?
Dans les années 70, j’ai fait partie d’un groupe : BBLC constitué de Dédé Cecarelli, Bernard Lubat, Marc Bertaux et moi-même. Il n’y a malheureusement pas de témoignage sonore de ce groupe, mais nous avons fait de nombreux concerts dont un mémorable en première partie de Weather Report. Marc Bertaux qui était déjà un brillant soliste promenait sa basse dans la stratosphère et moi je « groovais » avec la mienne.
Plus récemment avec mon cousin Dominique Bertram et mon neveu Philippe Chayeb, nous avons monté « Bass cousins » avec mon cousin Thierry Chauvet à la batterie, comme tu vois Bruno, c'est une affaire de famille. Nous avons fait quelques concerts sympas et sorti un titre sur l’album Bass Influences N° 2 chez 13 bis records.
La direction musicale d’un groupe à plusieurs basses peut être très variée, il y a de nombreux exemples qui vont de l’Orchestre de Contrebasses à Bass Summit avec Ray Brown, Chris Mc Bride et John Clayton.
La vie du musicien, les conseils
Peux-tu nous décrire une semaine type de ta vie de musicien, cours, séances répétitions, travail personnel ?
Je donne très peu de cours, quelques séances d’enregistrement (denrée qui a tendance à se raréfier), des répétitions bien sûr avec les différents projets dont je fais partie, du travail personnel également : archet, tuba, basse (je suis en train d’enregistrer les inventions de Bach à 2 et 3 voix pour piano avec une 5 cordes pour les parties graves et une basse piccolo pour les parties aiguës, c’est un très bon exercice).
Il y a aussi beaucoup d’heures d’administration (intermittence, paperasses de toutes sortes mais qui sont indispensables à la vie dans nos sociétés), démarchages divers pour mes projets, beaucoup de temps passé au téléphone et sur Internet, plus mes activités d’administrateur de la SPEDIDAM, de l’UMJ et les commissions du FCM.
J’essaye néanmoins de conserver du temps pour m’occuper de mes (nombreux) enfants et de ma (délicieuse) compagne.
Quels sont les conseils que tu donnerais aux aspirants musiciens qui te lisent ?
De n’envisager cette carrière que s’ils sont prêts à tout faire pour se frayer un chemin (en essayant de rester intègres bien sûr). Ce n’est pas un métier qu’on fait de façon anodine, il faut y penser dès le matin, au réveil, jusqu’au soir (tard !) au coucher, et en rêver la nuit. Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, le relationnel est très important (largement autant que les indispensables compétences). En fait, les musiciens constituent comme une grande famille où il n’est pas forcément facile d’entrer, mais qui laisse rarement tomber ses membres en cas de coup dur, j’en ai des preuves très souvent, et surtout, il y a un vécu commun qui crée des liens très forts.
Internet, crise du disque , prise de position
La crise du disque, l’individualisme forcé de ceux qui arrivent à vivre de la musique, le formatage des musiques, est-ce que tu penses que la pente est irréversible ou est-ce que tu entrevois des solutions ?
Je considère l’Internet comme un magnifique outil culturel et de communication qui n’en est qu’à ses frémissements. Bien sûr, il faut être vigilant, car les démons du marketing se sont emparés de l’outil dès le premier jour. En même temps, je pense que le système offre une magnifique possibilité de contact personnel et de démarche citoyenne.
Concernant le problème spécifique de la musique, je milite contre le tout répressif des majors et pour l’établissement d’une redevance du type rémunération équitable perçue sur les fournisseurs d’accès qui sont les principaux gagnants du système.
Dans le même genre de question penses-tu qu’Internet puisse être un facteur déclenchant, un contre-pouvoir, une contre-culture, bref une ouverture de plus pour le musicien ou crois-tu à l’inverse que la toile va nous isoler encore plus ?
La toile n’isolera que les gens qui ont une propension à l’isolement. Pour moi, c’est au contraire une manière formidable d’être en contact direct avec le monde entier sous réserve qu’on ait à l’autre bout du réseau des êtres de chair et de sang et non pas du virtuel.
Sans rentrer dans un haut débat philosophique, penses-tu que le musicien a son mot à dire face aux cris d’alarme que la planète émet un peu partout, réchauffement, conflit, course à la productivité ? Ou penses-tu au contraire que le musicien doit rester dans sa bulle et ne pas pratiquer le mélange des genres ?
Le musicien est pour moi un citoyen comme les autres, qui a simplement la chance de gagner sa vie avec son art. Je me suis toujours insurgé contre mes collègues qui ne votent pas, qui se désintéressent de la vie sociale. Il n’est écrit nulle part qu’un musicien doit s’isoler de tout pour se consacrer à son art et vivre dans sa tour d’ivoire, c’est pour moi un fantasme d’imbécile. Donc bien évidemment je considère que le musicien a son mot à dire dans la société où soit dit en passant, il occupe une place de plus en plus importante, ce qui ne veut pas dire pour autant que la musique elle-même est un acte politique, je suis très méfiant par rapport aux tiers-mondistes du show biz, et aux alter mondialistes autoproclamés. Quand on veut agir pour aider les gens, il n’est pas forcément nécessaire de partir loin de chez soi ni de le crier sur tous les toits.
Conclusion
Les questions et les domaines que tu aurais voulu que l’on évoque tu peux me les rajouter ici ils seront les bienvenues.
Je pense m’être exprimé sur tous les sujets qui me tiennent à cœur. Je voudrais juste rajouter que je suis un partisan convaincu de la vie associative, je crois qu’on est plus fort à plusieurs que seul dans son coin. L’idée d’un forum est excellente. Sachez qu’il existe une association L’ABCDF qui regroupe plus de deux cents bassistes et contrebassistes, mais où les musiques dites « actuelles » sont pour l’instant sous-représentées. Bienvenue à ceux qui souhaitent nous rejoindre, tous les détails sur www.contrebasse.com
Tony Bonfils
Tony Bonfils Interview
- Bruno Chaza
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Dernière modification par Bruno Chaza le 19 juil. 2007, 11:25, modifié 8 fois.
- binuche
- Chef d'orchestre
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Tony Bonfils Interview
Très intéressant, en particulier la seconde partie traitant de la vie autour de l'instrument. Travail, relationnel...
Je suis d'ailleur entièrement d'accord avec ses propos sur le sujet et ce, quel que soit le style pratiqué. S'il n'y avait pas de relationnel et d'entraide, la plupart des projet créatifs n'aboutiraient pas.
@+
Je suis d'ailleur entièrement d'accord avec ses propos sur le sujet et ce, quel que soit le style pratiqué. S'il n'y avait pas de relationnel et d'entraide, la plupart des projet créatifs n'aboutiraient pas.
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- Bruno Chaza
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Tony Bonfils Interview
merci binuche
je suis sur que Tony appréciera
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- Philippe B
- Requin de forum
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- Inscription : 13 oct. 2004, 21:55
- Localisation : Essonne
Tony Bonfils Interview
super intéressant la vison de tony sur la musique, plus la relation basse batterie cher aussi a laurent cokelaere.
et surtout l ouverture d esprit sur la musique,et de voir les choses tourjours
musicalement, et la remise en question permanente
.
et surtout l ouverture d esprit sur la musique,et de voir les choses tourjours
musicalement, et la remise en question permanente
.
Philippe B
Tony Bonfils Interview
Au préalable, de grands mercis à Tony Bonfis d'avoir accepté l'interview. Ce bassiste a certainement provoqué des frémissements de quelques lecteurs, des vues partagées sur des aspects techniques....Mais..., voilà, je ne suis pas bassiste, et, même si cela correspond tout à fait à ce type de forum, j'aurais aimé en savoir plus sur l'Homme.
Dans trop d'interviews, cet aspect est oublié, seul le professionnel intéresse, du moins me semble-t-il. Tony a esquissé sa conception de l'artiste citoyen, la "crise du disque"... mais ces sujets sont précédés par des concepts techniques de basse et donc peu développés. A mes yeux la force d'un artiste est aussi sa pensée, ses lectures, son mode de vie, sa conception du monde.... qui se traduisent certainement dans ses compositions. Sur ce forum il a été ecrit que la musique est de plus en plus formatée, ce type d'oubli n'y contribue-t-il pas? Ne nous trompons pas, ma critique est nuancée par la qualité des interviews mais j'en veux toujours plus.... Merci encore à Bruno!
Mathieu
Dans trop d'interviews, cet aspect est oublié, seul le professionnel intéresse, du moins me semble-t-il. Tony a esquissé sa conception de l'artiste citoyen, la "crise du disque"... mais ces sujets sont précédés par des concepts techniques de basse et donc peu développés. A mes yeux la force d'un artiste est aussi sa pensée, ses lectures, son mode de vie, sa conception du monde.... qui se traduisent certainement dans ses compositions. Sur ce forum il a été ecrit que la musique est de plus en plus formatée, ce type d'oubli n'y contribue-t-il pas? Ne nous trompons pas, ma critique est nuancée par la qualité des interviews mais j'en veux toujours plus.... Merci encore à Bruno!
Mathieu
- Bruno Chaza
- Maestro
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- Inscription : 07 sept. 2004, 21:51
- Localisation : France
Tony Bonfils Interview
Je remets en ligne ce moment partagé avec Tony Bonfils, merci Tony.