Bonjour l'interview de fin d'année est consacré à un luthier Rennais Fredéric Pons , elle a été réalisée grâce à notre modérateur spécial matos, je veux parler de Binuche, je l'en remercie personnellement comme d'habitude vos commentaires sont les bienvenus ......
la visite Web des ateliers Kopo c'est par ici
http://www.kopo.fr/
KOPO
ATELIER DE LUTHERIE
Entretien avec FREDERIC PONS
Petite présentation ?
Frédéric PONS, alias KOPO, 41 ans, luthier, installé depuis 17 ans à RENNES.
Sais-tu que le KOPO est un chien ? Je t’offre la photo, il vient de Transylvanie !
Oui je le savais. Je te remercie, il est beau et ça m'a beaucoup plu qu'il vienne de Transylvanie.
Oui, c'est plus sympa que de Franche-Comté.
Ou de Corée du Nord…
Peux-tu nous parler de tes débuts dans le monde de la Lutherie ?
Ma formation a commencé par un apprentissage à Rennes, chez un luthier en violon dans les années 80. Ensuite j’ai intégré une formation à Londres de 1983 à 1985 au London Collège of Furniture, section violon la 1ère année. Je ne me suis pas plu dans cet atelier, j'avais vraiment envie de faire des guitares ; dès la 2ème année, j'ai basculé sur l'atelier guitare et j'ai passé mon diplôme en 1985. Je dis ça parce que je pense au prof de violon, une femme au demeurant très bonne violoniste, mais professeur de lutherie absolument infecte et sans intérêt. Donc, elle a achevé de me réorienter vers la lutherie guitare et c'est tant mieux. Je suis installé depuis un peu plus de 17 ans sur Rennes. L'atelier étant à la campagne.
Tu t’es donc installé à Rennes directement ?
Je suis revenu à Rennes faire mon service civil dans le milieu associatif et j'ai monté mon atelier. Je me suis fait un petit réseau, je connaissais un peu de monde, ma copine était aux Beaux Arts, ça comptait pas mal, ainsi que le milieu étudiant. J’ai continué à me faire une expérience en réparation et en fabrication guitare pendant presque trois ans. En 1988, j'ai passé le pas et me suis installé véritablement à Rennes. J’ai été soutenu par Jean-Marie Fouilleul, luthier à l’époque à Rennes, en guitare classique. Il m'a fait comprendre que de toute façon, il n'y avait pas tellement de choix dans ce métier-là et pas d'autres débouchés que celui de s'installer. C'est encore vrai aujourd'hui, mais ça l'était particulièrement à l'époque.
Vous êtes deux actuellement dans l’atelier, cela s’est-il fait dès le départ ?
Non, j'ai commencé seul. En 1989 ou 90, un copain m'a présenté Pierre qui avait, une formation en ébénisterie et qui avait fait pas mal d'autres choses au niveau technique. Il était guitariste dans un groupe de Trash, Skyrock à l'époque, non Skydogs… Il voulait se mettre à la lutherie, on s'est bien entendu et voilà.
Peux-tu nous parler de la production de l’Atelier KOPO ?
On est sur une capacité de production et de vente de l'ordre d'une quarantaine d'instruments. 25 correspondent à une petite série semi acoustique, Yalta pour la guitare et Roscoff pour la basse. Toutes les deux dans le même concept : petits instruments semi acoustiques, électro acoustiques avec piezos et magnétiques. Table en carbone sans rosace, petite caisse presque format solid- body conçu pour la scène ou le studio. Les autres sont des commandes de particuliers. Ça reste des petites guitares électriques custom ; nos basses acoustiques ; et des modèles un peu spéciaux, une corde nylon, midi, solid-body aussi.
Lors de la création d’un instrument, utilisez-vous toujours la même méthode ?
Non, pas toujours, il y en a au moins deux. La plus sérieuse consiste à partir d'un besoin technique et/ou musical qu'on repère assez souvent à l'occasion d'une commande d'un musicien qui va un peu de l'avant dans un style de musique, et qui nous incite à répondre à son besoin. Réaliser un instrument pour un particulier génère un modèle qu'on conserve, même si on le fait un peu évoluer après. Ça peut répondre à d'autres bassistes ou guitaristes. Pour la création pure, on part du besoin musical qui se décline en besoin sonore, acoustique ou électrique. Il faut tel son, tel confort ou situation de jeu. A partir de ces besoins, on s’approche du design et de la conception en matériaux et en matériel. C'est ce tout qui nous amène à dessiner un instrument de façon globale.
Comment faîtes-vous pour conseiller un client qui n’a pas d’idée précise sur l’instrument qu’il souhaite ?
On lui propose des modèles déjà existants. Si sa demande est proche de ce qu'on fait déjà et qu'il y a deux ou trois choses à modifier ; on le recale sur ce qui a déjà fait l’objet d’une ou deux pièces. C'est difficile de répondre globalement. Ça peut être génial s’il n'a que des envies sonores et musicales. S’il dit "je veux un son grave, moelleux à la fois " par exemple, c'est pénible. Mais s’il arrive en disant "je veux tel accordage, tel type de confort, après le look, je m'en fiche complètement, ce que vous faites me plaît, dessinez-moi un truc", c'est génial.
Là, on est vraiment dans notre travail d'architecte, on fait un projet global pour quelqu'un, qui veut vivre avec son instrument. C'est rarement le cas. Souvent, il a une envie de dessin, un croquis qui nous amène à nous adapter au niveau esthétique à quelque chose à laquelle on n’adhère pas forcément. C'est normal de le faire.
Quelle est la chose la plus importante pour un client : le son, la forme ou le plaisir d’avoir un instrument unique ?
Un peu tout ça à la fois. Le son reste le moteur. C'est rarement original et souvent par référence. Il veut bien sûr que ça ait un look un peu personnel, même si c'est calqué sur de grands standards. Le cas extrême : une copie de Strat avec une petite touche permettant de la personnaliser. On a rarement affaire à un dessin complet. Quelques idées, c'est arrivé, mais ce n'est pas le plus drôle. Surtout quand ce n'est pas beau, mais ça a évolué, plus tu es connu, plus on te fait confiance.
Est-ce que tu constates justement une évolution dans la demande par rapport à tes débuts ?
Il y a plein d'évolutions. On peut en préciser deux : la première vient de notre histoire, au bout de 17 ans, notre style est tangible et repérable de l'extérieur, ça oriente certains types de commandes chez nous. L'autre évolution, que j'espère : c'est que les musiciens reprennent un peu l'habitude de "délirage", de penser que l'instrument peu davantage s'adapter à la musique qu'ils veulent faire. Le XXe siècle a explosé au niveau musical mais instrumentalement parlant, la guitare électrique en terme de concept est restée très statique même si on voit régulièrement quelque « folies ». La guitare a plus évolué au XIXe, au XVIIIe siècle. J'exagère un peu car le fait de passer à la guitare électrique et de concevoir plusieurs déclinaisons, ça été une grosse évolution. Mais son concept d'accordage, son diapason, son utilisation même scénique. Tout cela a été drôlement statique finalement, au moins sur la deuxième partie du siècle.
J'ai souvent l'impression que si ça doit bouger, c'est grâce à la techno et à la musique électronique. J'espère que ça ne va pas couper les gens de la pratique instrumentale à long terme. Car c'est le cas sur 10 ans: on voit une récession de la pratique instrumentale, il se vend moins de guitares que de synthés. Ce n'est pas grave dans l'absolu, ça peut revenir avec des oreilles plus ouvertes, un panel sonore énorme par rapport à ce qu'il était. J'espère retrouver ce type d'ouverture sonore. Peut-être que ça redonnera plus envie aux musiciens d'être acteurs de leurs instruments, comme ils l'étaient au XIXe avant.
Je constate toutefois que plus de guitaristes s'orientent vers la fretless, la sept voir huit cordes ou des instruments un peu atypiques ; je pense que ces signes montrent une volonté d'aller plus loin dans la création musicale, en considérant qu'en tant que musicien, on a aussi à être l'ouvrier de son Son. Je pense que c'est là que le luthier a véritablement sa vocation, c'est pour répondre à ces besoins. Ce n’est pas pour faire des copies de Strato…
Peux-tu détailler le temps nécessaire à la fabrication d’une semi série ou d’un modèle plus rare ?
Pour la semi série, on est dans une logique productiviste. Il faut en tant qu'atelier de lutherie essayer de travailler sur le long terme avec des instruments pouvant être distribués à travers des magasins revendeurs. Donc arriver à sortir un instrument au coût le plus réduit possible pour que ça reste accessible. Pour ces petites séries, on cherche à être en dessous de trente heures de production par instrument. En lutherie, si on se met dans une capacité de production "pièce unique", c'est une folie. On ne peut pas vraiment produire une guitare, sauf une guitare électrique simplissime, en vingt ou vingt-cinq heures. Ca n'est possible que si on « stakhanovise » un certain nombre d'étapes et qu'on passe plus de temps dans la finition. L'idéal serait vingt-cinq heures. Sur les pièces uniques, en vente directe au particulier, ça peut nous arriver de passer 40 à 80 heures. On travaille sur devis. On chiffre tous les délires du client et ensuite il coche. On sait où on va.
Au niveau de la fabrication, comment vous répartissez-vous le travail entre toi et Pierre ?
C'est Pierre qui réalise quasiment seul les petites séries, à plein temps dessus en dehors de quelques réparations. Je travaille sur les réparations au quotidien et sur les commandes de particuliers. Mais Pierre en réalise aussi. Et je suis aussi sur les prototypes. Quand on conçoit un nouveau modèle, généralement, je fait le premier. C'est de la recherche. Donc, je partage mon temps entre l'atelier et mon rôle de représentation dans les salons, les expos ou sur les magasins.
Et ça représente pas mal de temps ?
Oui, le travail de communication demande aussi du temps : concevoir des plaquettes, travailler sur le site Internet. Finalement, si je peux consacrer le tiers de mon temps à l'atelier c’est bien. Mais j'aime bien ces parties-là du métier aussi.
Est-ce que la part de réparation est importante dans l'atelier lutherie ?
En tant qu'entreprise, ça représente cette année 1/5 de notre chiffre d'affaires, et 1/5 de notre temps.
Comment choisissez-vous vos bois ?
On n'a rien inventé en matière de bois, on est resté sur des choses assez standard : acajou, frêne, érable, aulne, certains fruitiers, le peuplier pour certains modèles. Mais ce n'est pas un bois intéressant, sauf si on recherche une neutralité totale, genre cordes nylon sur une électrique. Pour la guitare acoustique, évidemment l'épicéa, le red cédar. Pour les pièces dites de structure, de finition, les touches, les chevalets, c'est l'ébène, le palissandre, le pao rosé, le bubinga, bois qu'on peut aussi utiliser dans les parties structurelles de l'instrument dans certains cas, pour l'esthétique ou un éventuel impact sur le son. On les choisit sur deux axes : il y a l’influence sur le fonctionnement de l'instrument et l'aspect esthétique aussi, à densité égale. Si on veut en faire une table sur une guitare ou sur une basse électrique, entre du bubinga ou du paorosé, c'est l'esthétique et la finition qui va nous orienter
Le prix du bois a-t-il une influence ?
Non quasiment pas, il y a tellement peu de variation sur la quantité pour une série. Ca vaut le coup de réfléchir sur tel acajou ou tel autre parce qu’on va quand même en acheter une certaine quantité à l’année. Mais pour une pièce unique il y aura une variation de 30 euros. Ce n'est pas un critère fondamental.
Vous utilisez régulièrement la fibre de carbone…
Le fait d'utiliser du carbone sur certains modèles est un choix technique. On conçoit par exemple un instrument semi acoustique avec une petite caisse et sans rosace mais qui fonctionne tout de même sur le principe acoustique d'une table sur un corps creux, avec un barrage, un chevalet et un système piezo dans le chevalet. La réflexion est la suivante : si on fait une table traditionnelle type épicéa, on a quelque chose de très rigide et épais proportionnellement à la surface. Donc qui favorise le haut médium et l’aigu, ce qu'on ne souhaite pas. Le carbone répond bien au problème en ce sens que pour la même rigidité, la même flexibilité, on a une épaisseur qui est trois fois plus faible. Donc, on récupère le bas médium et le grave. Ensuite, le carbone a quelque chose de très stable et solide qui inspire confiance. Et sur un plan plus marketing, c'est un symbole de technologie. Son look, lui peut ne pas plaire d'ailleurs mais c’est un argument secondaire. Pour la tête, le carbone est un choix technologique de solidité. Pour faire une tête évidée avec si peu de surface, si on n'a pas de carbone, elle casse au premier choc et même avant. Donc, le fait de faire un système de poutre carbone sur les trois faces c'est vraiment bien.
Techniquement, c'est facile à faire ce genre de placages en carbone ?
Non. On fait des moules permettant d'avoir une pièce venant s'emmancher dans le bois. On plaque par l'arrière pour fermer la poutre. C’est un hasard de rencontre qui nous a amené à travailler ce matériau. Un client nous a demandé si on pouvait lui faire une guitare électrique avec un manche carbone, il travaillait lui-même le matériau sur des surfs. Comme on aime bien les aventures, on a foncé et appris à comprendre ce matériau et voir ce qu'on pourrait en tirer. Je n'ai pas envie d'utiliser ce matériau pour faire exactement la même chose qu'on fait en bois. Je pense qu'il faut essayer de tirer la substance de ce matériau, ce qu'il peut apporter de plus, pas pour sonner beaucoup mieux mais différemment.
Peux-tu parler de l’association que toi et d’autres luthiers ont suscité ?
Elle s'appelle "LABEL GUITARE", on a constitué un réseau à travers cette association sur plusieurs axes : échange technique, savoir-faire et le principal : la communication collective. C'est parti de cette idée simple que la lutherie était assez mal comprise, aux sens quantitatif et surtout qualitatif par la plupart des musiciens. Cela évoque pour eux le luthier dans sa campagne avec des toiles d'araignées faisant des trucs de fou ou très classiques, très anciens. Des choses chères pour des pros ou des stars et qui ne sont pas pour eux. Ils pensent qu'il faut une demande particulière ou très pointue... Il y a plein de fantasmes. C'est peut être vrai dans certains cas, mais on a eu envie de dire qu'il y a une génération de fabricants qui font des choses contemporaines pas forcément folles. Des choses différentes de ce que propose l'industrie et qui sont d'aussi bonne qualité. Aujourd'hui, ce n'est pas facile, parce que l'industrie a énormément amélioré ses procédés de fabrication et s’est adapté à la culture actuelle, à une génération jeune. Dans l'association, on s'est retrouvé entre personnes de 25 à 40 ans. On s'est dit que dans du haut de gamme, on trouverait naturel que plus de musiciens se mettent devant le choix de l’industriel ou de la lutherie. Il y a peut être une mauvaise compréhension de ce métier. Il suffit probablement rétablir une vérité et il faut qu'on communique ensemble là-dessus.
D’où est venu ce besoin de communiquer ?
Aujourd'hui, il y a de plus en plus de luthiers, et c’est tant mieux. Je n'ai pas l’angoisse de voir s'installer des luthiers dans mon quartier, qui vont bouffer mon marché : il n'y en a pas. En même temps il est énorme, c'est à nous de le créer. Plus on sera à proposer des choses et à montrer qu'on existe en restant dans une certaine qualité, dans un certain sérieux, plus on créera de marché et plus on recréera cette envie du "consommateur" qu'est le guitariste ou le bassiste, de penser éventuellement lutherie et de perdre l'angoisse ou les inhibitions qui font que depuis 40 ans, on voit 90 % de musiciens foncer sur du dérivé Fender ou Gibson.
On pense à un site, mais l'essentiel sera une charte, un discours, des salons vraiment ensemble. Pas uniquement collés les uns à côté des autres par le hasard de l'organisation. On le fera peut être au salon de Paris, être dans un autre espace dans Paris pendant la durée du salon pour inviter les musiciens, les clients, à passer nous voir à d'autres heures, dans une autre ambiance, quelque chose qui nous correspond mieux. Par ailleurs, on aimerai mettre en place un système de service après-vente collectif : je vends une guitare sur un salon à un client de Marseille, et grâce à "LABEL GUITARE", il pourra aller chez un luthier de Marseille sans aucun problème. Il peut déjà le faire maintenant à vrai dire, mais là, on le fera savoir en disant : « Il n'y a aucun problème, voilà la liste des 15 luthiers du réseau Label Guitare en France; vous allez chez l'un d'entre eux, vous serez servi comme chez nous ». S'il y a un pépin, le luthier peut renvoyer une guitare au luthier d'origine, mais il assure la relation avec le musicien, comme la plupart des magasins prétendent le faire, mais ne le font pas. La garantie des grosses marques est fictive, la plupart du temps, c'est du bouinage dans le fond du magasin parce qu’on ne peut pas renvoyer une guitare chez le fabriquant en Corée ou au Japon, pas forcément plus aux Etats-Unis…
Voilà l’idée, et parce qu'on est potes, on a bon esprit : c’est faire en sorte d'exposer les copains autant qu'on le peut dans nos régions, moi j'expose des luthiers qui veulent bien amener des guitares à notre boutique à Rennes, échanger sur des techniques qui peuvent touts nous faire avancer. On n’a aucune raison de garder nos petits secrets de fabrication, c'est ridicule, on a tous intérêt à progresser collectivement. L'important, c'est notre style, c'est ce qui nous démarque des autres et comme on est tous relativement créatifs, il n'y a aucun problème là-dessus, on n'a pas peur de la concurrence, au contraire.
Peux-tu décrire les étapes de la fabrication d’un instrument en lutherie ?
Si on fait un modèle pour la première fois, la première étape incontournable, c’est de faire un bon plan : on gagne énormément de temps sur la fabrication. Après, on choisit les bois. Ici, on a du bois pré débité pour les modèles que l’on fait fréquemment. Si c’est un modèle différent, on sort les plots, on choisit les matériaux. Ensuite, on débite au départ avec la grosse scie circulaire puis après avec le ruban, c’est de la menuiserie. Après, il n’y a pas d’ordre privilégié. On a les pièces devant soi, après est-ce qu’on va plier les éclisses en premier ? Probablement pour une guitare acoustique ou une basse. On fait le fond, la table et le barrage de la table. En même temps, on peut avancer sur le manche pendant le temps de séchage du barrage. Puis, les choses se structurent, on fait les assemblages, les filets, les finitions, le séchage, puis le vernis. Pour une guitare électrique, c’est un peu pareil, c’est le corps d’un côté, sauf si c’est un manche conducteur, évidemment on n’a pas pris de fond, on fait les gros assemblages, on fait les traits de scie, le rainurage du frettage avant de coller la touche.
Une fois que le corps est détouré et assemblé au manche s’il est conducteur, on attaque les parties de défonce micro, vibrato et différentes cavités qu’il faut sur la guitare. Après, on fait les finitions, ponçage, chanfrein, corderons, tout ce qui va fignoler l’ensemble. Puis on taille le manche, on fait les perçages de tête, le frettage et puis le vernis et le montage qui est une partie très longue qu’on sous-estime souvent : il y a encore une journée de boulot pour poser les pièces d’accastillage, le câblage, monter les micros, les cordes, faire le réglage. Le vernis peut prendre plusieurs heures en temps cumulé. Ça va entre 5 à 10 couches et ça s’étale souvent sur une semaine à quinze jours.
Constatez-vous une influence sur le son suivant le type de bois, pour une électrique et pour une acoustique ?
Oui, pour une acoustique, c’est indéniable, Que ce soit pour la table, qui est primordiale, un épicéa ou un Red Cédar pour prendre les grands standards. Il y a une couleur, une chaleur différente due à la structure du bois. Il est impossible de nier le fait que pour la même table, le même instrument exactement, avoir un fond et éclisse en érable ou en acajou, ai une influence. Chacun de ces bois va apporter une légère couleur, chaleur, froideur, dynamique, brillance… Favoriser certaines fréquences. C’est tout ça à la fois et c’est ça qui fait le son. Déjà, il y a une différence entre une corde et une autre. On peut considérer que le son qui sort d’un objet musical a une fréquence. Il y a le fondamental, c’est un LA à 440 hertz… après ce qui fait qu’on reconnaisse le son d’une trompette ou d’une guitare, ce sont toutes les fréquences périphériques qui sont entre autres, largement dues aux matériaux. Un matériau d’une densité, d’une texture, d’une structure différente a une influence sur la coloration finale de la note.
Pour un instrument électrique, c’est moins tangible mais c’est la même chose. Imagine une guitare rectangulaire. Elle fait 4 cm d’épaisseur, 40 de haut et 25 de large, elle a un certain cubage. Si tu la fais en acajou de densité de 450 kg/m3, tu génères une certaine fréquence, propre à la masse du corps. Si tu fais ça dans un érable de 850 kg/m3, tu auras une fréquence différente. De la même manière, si tu le recoupes en deux, tu n’auras pas la même note avec le même bois. Tout ça a une influence et le fait de considérer que la masse d’une solid-body ait sa fréquence propre, c’est déjà considérer que ça aura une incidence sur les fréquences qui transitant par cette pièce. Après, est-ce que c’est le plus important dans le résultat sonore… pour l’acoustique c’est fondamental. Pour l’électrique, il y a une question sur les grandes influences entre les micros, les concepts de l’instrument et les bois. Je crois que personne ne le sait, il faudrait que l’IRCAM se penche là-dessus véritablement un jour. Qu’elle fasse toute une série de prototypes avec exactement tout pareil sauf les bois et évalue dans quelles proportions le frêne donne un son différent de l’aulne, de l’acajou ou de l’érable, mais c’est peut-être inaudible. Il faudrait que nous-mêmes fassions suffisamment de modèles avec une viabilité dans la production, les micros et les outils d’analyse autres que l’oreille avec tout le côté subjectif qu’elle a pour prouver et quantifier cette influence. Les micros et l'électronique ont une influence indéniable. Tout ce qui est de l'ordre du concept de l'instrument également : manche conducteur, vissé, collé. Le diapason a pour moi une influence énorme. Pour une basse, un diapason de 850 mm ou de 890 et pour une guitare, admettons de 620 à 660 : c'est une variation énorme, Je crois que ça, ce sont les critères principaux.
Le choix de l’électronique et des micros vient-il de vous ou du client ?
C'est le choix du client mais on l'oriente plus ou moins vers des micros qu’on connaît bien : Duncan ou Dimarzio. On travaille avec des fabricants français comme Benedetti, Crel, ou MC2 à Bordeaux. Ce n'est pas facile, il faut l'admettre et malheureusement le regretter, de vendre des micros pas connus. Le client préfère souvent un gros standard. Mais on a quand même toujours essayé de faire travailler et de monter sur nos guitares des instruments de Crel, MC2 et en ce moment, pas mal de Benedetti. Le choix dépend de la nature de l'instrument.
On rejoint ce que voulait le client au départ au niveau du son ?
Souvent, oui. Si on fait un concept, on va faire un modèle pour une électrique, avec deux simples, un double et un modèle avec deux doubles, On fait rarement un modèle avec trois simples, je n'ai franchement jamais compris le succès de la Strato si ce n'est qu'il y ait un paquet de stars qui jouent dessus. A la base, c'est un instrument qui a une coloration particulière qui manque un peu de corps. Très souvent, les gens qui nous demandent des copies Strat veulent un double en aigu.
Le piezo ?
Sur un instrument électrique ça complète la palette de son, mais c'est plutôt à la demande du client. On a parlé aussi de nos instruments semi acoustiques avec du piezo et du magnétique, c'est une orientation qu'on a depuis longtemps. On croit qu'il y a un besoin à ce niveau, quelque chose encore mal expérimenté, mal cerné par les grandes productions, à part Gaudin et quelques autres. Même si le piezo n'est pas la panacée en terme de prise de son, ça reste aujourd'hui quelque chose de fiable, de facile à utiliser. Après, le choix de telle ou telle marque, c'est la qualité qui compte. En ayant testé un bon paquet et expérimenté nous-mêmes sur des modèles atypiques, genre basse acoustique, ou instrument pour lesquels il n'y avait pas forcément des systèmes piezo de série, on est arrivé à cerner quelques produits qui nous intéressent bien.
Quelles différences peut-il y avoir entre la demande d'un guitariste et celle d'un bassiste, si tant est qu'il y en ait ?
C'est vrai qu'on a longtemps considéré, ce n'est pas un secret, que le bassiste était plus aventureux que le guitariste. Ces vingt dernières années, il y a eu plus d'évolution dans la basse que dans la guitare. Dans son usage musical, que ce soit dans le jazz, le rock ou la fusion. De ce fait, les bassistes ont été des gens plus exigeants, en recherche et souvent plus intéressants dans leurs demandes auprès des luthiers mais c'est une généralité. Il y a un phénomène qu'on observe beaucoup chez les bassistes : quand ils commencent à acquérir un certain niveau technique et instrumental, ils expriment aussi une certaine frustration de guitariste. Il y a le rôle du bassiste avec toute sa valeur rythmique indéniable et petit à petit, l’envie de fouiller plus la dimension mélodique, on l'a souvent observé. Il y a aussi des guitaristes dans le domaine de la sept cordes, bientôt de la huit cordes, qui amènent un renversement des tendances et finalement un croisement de tout ça. Il faut relativiser par rapport à l'histoire un peu générale de la musique et des instruments. Cette dichotomie guitariste/bassiste est relativement récente et à une époque, les gens jouaient autant du violon, de la viole que de la viole de Gambe, ils savaient un peu pratiquer tous ces instruments. Il y aussi heureusement beaucoup d'instrumentistes qui ont envie d'investiguer autant la basse, que la guitare, que le baryton, mais c'est vrai que les guitaristes (en tout cas statistiquement, ça s'observe, c’est moins nous que les magasins) s’orientent malheureusement à 90 % sur la Strato ou sur la Les Paul, encore une fois, il y a des stars qui s'y réfèrent.
Peux-tu nous parler de la finition, de son influence sur le son s’il y en a ?
Influence sur le son… Sur une guitare classique de grand concert ou une très bonne folk acoustique entre un vernis polyuréthane, cellulo, polyester, et un vernis au tampon, il faut avoir les oreilles un peu bouchées pour ne pas entendre la différence, pour ne pas même la concevoir. Mais sur les instruments électriques, on peut prendre la même chose que pour le bois, mais à un degré encore plus faible, on pourrait certainement constater quelque chose avec des machines très sensibles.
Ca reste surtout destiné au look de l'instrument ?
Tout à fait. Les vernis brillants, colorés avec des super couleurs, c'est ce qui est le plus difficile à faire, ce qu'il y a de plus long, et de plus cher. La plupart des luthiers apprennent ce travail sur le tas. Il est mal et peu enseigné et les grosses boîtes, à partir d'une certaine échelle, ont souvent leur vernisseur. Moi je n'aimerai pas parce que c'est quand même un métier à risque sur le long terme, vu les matériaux utilisés. On attend tous que les chercheurs qui travaillent pour les fabricants de vernis mettent au point des matériaux dont les solvants sont moins toxiques que le xylène ou le toluène.
Pour quelles raisons ?
Pour éviter d'en respirer toute l'année. Même si on met des masques, si on a une cabine ventilée… Et pour l'environnement, j'aimerai bien et je serai satisfait intellectuellement, et pour ma santé, d'utiliser des vernis solvants à l'eau. Ils existent mais sont pour l'instant tellement mauvais en qualité, en finition qu'on ne peut pas les utiliser.
Si vous aviez un projet d'instrument, un petit rêve à réaliser, un petit quelque chose qui vous trotte dans la tête?
Des projets pour compléter notre gamme évidemment, ça c'est des choses raisonnables. Dans les trucs un peu plus délire, je vois un instrument très futuriste. Il aurait pour ambition d'être le plus complet possible dans le genre gadget utile, proposant tout ce qu’a la technologie, du systèmes HF complètement intégré à l'instrument, à l'accordeur en passant par tout ce qu'on peut imaginer. Un truc bluffant, pour se faire plaisir et pour pousser un peu, mais possiblement vendable parce qu'il coûterait 10000 euros. A l'inverse de ça, je pense que je vais commencer par un autre instrument, plus raisonnable et sérieux. Ce serait un instrument que j'appelle « éthique » mais j'ai encore du boulot en réflexion, en conception, en information à prendre. Ethique au sens où je voudrais concevoir une guitare dont je contrôle à 100 % la provenance des matériaux, donc probablement à 100 % des bois de pays, locaux. C’est dans une réflexion globale écologique.
Tu parlais tout à l'heure de certains vernis polluants…
Oui, il y a le vernis aussi entre autre. Cette guitare, il faudra la cirer, ça peut être la solution. Mais, il n'y a pas que ça, un truc qui revient souvent quand quelqu'un te commande une guitare : c’est la touche en ébène. Le client met 2300 euros et il lui faut une touche en ébène. Palissandre déjà, c'est pauvre pour une guitare électrique… Si c'est de l'érable, il faut du moucheté. A la limite, c'est un bois local qui vient du Canada pour mes guitares. Tout ça pour dire que c’est dur de vendre un instrument de haut de gamme aurait une touche en bois du pays, pas du chêne ni du pommier, mais certain bois que je suis en train d'étudier. J’en achète dans les scieries de temps en temps pour étudier leur structure ; ce n'est pas scientifique, je vois comment ils réagissent. Ce ne sera pas des bois connus, qui n'auront pas un caractère noble et luxe, mais c'est une guitare qui défendra d'autres valeurs dont celle d'arrêter de participer, même si c'est infime à la déforestation de l'Amérique du Sud en utilisant des palissandres même si ce n'est pas du Rio. Et le plus souvent on ne contrôle absolument pas la provenance et la façon dont il est exploité, par qui, comment.
Faut-il être musicien pour être Luthier ?
On peut se poser la question ? Ça ne peut pas gêner, au contraire. Beaucoup de luthiers admettent, c'est presque mon cas et c'est pour ça que je me permets de le dire, qu'ils sont des musiciens frustrés qui auraient aimé, comme beaucoup d'autres, vivre de la musique. Moi, je n'ai jamais vraiment essayé, mais quand même. La lutherie, c'est une façon d'être proche de la musique en faisant quelque chose de plus artisanal. De toute façon, aujourd'hui, c'est quasiment systématique, parce qu'on est plus au XIXe siècle où on entre en apprentissage de lutherie, comme on entre en apprentissage chez un boucher ou un couvreur. Les gens qui s'orientent vers la lutherie très souvent sont un peu guitaristes ou bassistes et c'est ça qui un moment a fait tilt dans leur tête : ce serait sympa de joindre l'utile à l'agréable.
Est-ce que ça aide ?
Je pense que oui. A la fois, parce que ça permet d'avoir une réflexion, une approche de l'instrument qui aide à créer. On ne peut plus être luthier en étant simplement un ouvrier reproduisant la même guitare que son grand-père, même dans la guitare classique. Ce n'est pas péjoratif du tout car c’est un instrument très stable dans sa conception. Les luthiers expérimentent, essaient d'évoluer et de faire évoluer l'instrument. Si tu ne pratiques pas un petit peu, si tu n'es pas capable, à la fois de l'essayer et d’avoir une opinion sur ce que tu pourrais améliorer, je ne vois pas tellement comment tu peux bosser. Et si aussi tu n'es pas un petit peu musicien, je ne vois comment tu vas réussir à dialoguer avec un client qui va t'exprimer son sentiment, son besoin sur l'instrument. Oui, c'est indubitable qu'il faut un minimum pratiquer l'instrument ou l'avoir pratiqué.
Un grand merci à Frédéric pour sa gentillesse et pour ses instruments magnifiques qui ne me quittent pas depuis des années…
Bruno Bourrien alias Binuche.....
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Fredéric Pons luthier alias Kopo
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