Dur dur de vivre de la musique
Publié : 02 avr. 2006, 02:20
Bonjour à tous, je transfère un texte qui est paru sur un blog à méditer !
Courage à la personne qui vit ces difficultés, par respect pour autrui, et n"ayant pas les moyens de la joindre, je voulais juste mettre l'accent sur les difficultés inhérentes à la vie du musicien. Courage à cette personne que je ne cite pas, et je lui souhaite tout le bonheur du monde car oui, sa vie est précieuse et son témoignage est gage de fierté, courage à toi.
Bonjour,
Je suis une femme de 39 ans, divorcée, 2 enfants à charge de 12 et 6 ans. En 1988, j’ai entamé à Bordeaux une carrière de chanteuse de jazz. Ça a plutôt bien fonctionné pendant une quinzaine d’année : des concerts, deux albums, beaucoup de stages et d’enseignement du jazz vocal. Je m’étais faite une réputation dans le sud ouest. Je n’ai jamais dépassé le succès d’estime. J’ai donné beaucoup d’amour de l’art et d’énergie à cette carrière, tout en refusant de renoncer à ma vie de famille. Cela semblait vouloir fonctionner correctement ainsi, sans gloire médiatique, avec ce qu’il fallait pour vivre et réinvestir dans les nouveaux projets. J’étais intermittente de spectacle.
Puis en 2000, pendant ma deuxième grossesse, clash dans mon couple. Sale divorce, dépression, lutte pour la survie : mon état de santé ne me permet plus de faire face à mes commandes, je refuse les concerts et les engagements pédagogiques, et je refile le bébé à des collègues chanteuses du cru. On fait donc d e moins en moins appel à moi, mais je me débrouille pour sortir mon deuxième album en 2001, et surfe sur la vague des bonnes critiques qui me permet de vivoter de concerts jusqu’en 2003. A la fin de cette année-là, on me propose des opportunités d’enseignement du jazz vocal dans une école parisienne. Je prend cela comme un coup de pouce du destin, et vient m’installer près de Paris avec mes enfants et l’homme avec qui j’ai refait ma vie en 2002. Nouveau coup dur : les revenus de ces cours ne suffisent pas à mes charges, et mon compagnon, musicien professionnel ayant travaillé avec des artistes français réputés et aux Etats Unis, sombre dans une grave dépression suite à une surdité brusque, accident de carrière courant dans la vie d’un batteur. C’est du Zola, penserez vous, mais c’est du « Zola ordinaire ».
Ce genre de déchéance est courant chez nombre d’artistes qui ont commencé leur carrière dans les années 80 en apprenant à dépendre d’un statut d’intermittent du spectacle qui semblait acquis. C’était le piège. Nous avions le bonheur et le luxe d’être soutenu par l’état dans l’exercice de notre métier. Pas de quoi forcément faire un emprunt pour acheter une maison, car dans ces métiers tout ce que l’on gagne est réinjecté dans de nouveaux projets qu’il faut promouvoir soi-même, quand on fait partie des 80% d’artistes non signés, sans agent. Mais le bonheur de donner sans compter, dans un monde déconnecté des réalités sombres qui se profilaient, voué à notre plaisir de jouer et au plaisir que l’on donnait aux auditeurs. Nous ignorions, pauvres adulescents, que nous dépendions du bon vouloir du prince.
Aujourd’hui, le prince en a assez de donner pour nous. Nous avons quarante ans et nous ne savons être que des ménestrels.
J’ai dû réagir, vite : j’avais mes deux enfants et cet homme perdu à nourrir, soutenir, aimer. Un ami, - merci encore-, m’aide à décrocher un poste de secrétaire dans l’entreprise où il est ingénieur informatique. En trichant sur le CV, et avec ma pratique de l’ordinateur pour démarcher et vendre mes projets, j’y arrive.
L’adaptation est terrible, mais il faut que je tienne bon. On compte sur moi. Enfin, les enfants, car mon compagnon ne compte plus sur rien, il est à la dérive.
Je vis le « stupeur et tremblements » d’Amélie Nothomb. J’apprends qu’une femme se ferme sa gueule dans le monde du travail traditionnel. C’est cuisant quand on a été habituée à être reçue avec des bouquets de fleurs dans les loges de ses divers lieux de concerts. J’apprends que si on est pas trop moche, il vaut mieux mettre une tenue de souris grise si on ne veut pas être harcelée. Et si l’on accepte pas les blagues à la cantonades de ces messieurs complices, on est une bêcheuse qui ne se prend pas pour n’importe qui. Sans compter l’animosité des autres femmes qui vous trouvent un je ne sais quoi d’agaçant dans votre manière d’être.
On apprend à faire des choses inutiles, à gaspiller des masses astronomiques de papier et à être payée pour ne rien faire de longues journée, puis à être harassée de travail qui est à rendre « hier » pour des gens charrettes qui se prennent pour des génies qui ne savent travailler que dans l’urgence.
Bon. On s’accroche. Premier CDD reconduit. Et au bout de la deuxième tranche de six mois, je n’en peux plus. Je ne reconduis pas. Je me sens glisser à nouveau dans la dépression, il faut que je retrouve un job où je me sente utile. Mais qu’est-ce que je sais faire ? Chanter, enseigner le chant, écrire des textes de chansons, composer, et parler de musiques. C’est déjà pas mal me direz vous. Mais un an de traitement ordinaire de la femme secrétaire, cela a suffit à me faire perdre toute confiance en mes aptitudes créatrices. Même si j’ai des contacts avec des musiciens en vue, je suis totalement déconnectée du milieu. Je ne fonctionne plus comme eux. Et le monde du show biz avec ses faux semblants, ses fausses valeurs, me terrorise carrément maintenant. Bref, elle est perdue, la fille.
Après quelques mois à chercher à nouveau du travail, tout en ayant réussi à décrocher quelques heures de cours dans une association, je dois constater que mon CV ne suscite pas l’intérêt des annonceurs de l’ANPE. Trop chaotique, trop atypique. Je ne sais pas si je dois parler de mes activités artistiques (vous allez vous ennuyer chez nous, madame) où bien passer pour une mère au foyer qui veut reprendre sa vie professionnelle sur le tard ( mais avec vos enfants, comment allez vous vous organiser).
En fin de droits, je viens d’être recrutée par une entreprise de distribution des annuaires France Télécom sur le 94. Pour distribuer 540 annuaires, en mettant à disposition de l’entreprise mon propre véhicule, je suis rétribuée 41 euros bruts. A la fin de la première journée, j’en ai distribué 200, dans des quartiers où j’ai eu peur, et où l’on m’a abîmé ma voiture. Je rentre crevée. Je fais le calcul, il me faudra encore deux jours pour terminer ma distribution des 540. Trois jours à plus de huit heures quotidiennes pour gagner un peu plus de 32 euros. Il fait froid, il neige, il pleut, je dois monter les étages chargée, faire signer les abonnés pour preuve de ma distribution, rédiger des avis de passages en cas d’absence, avec les doigts et l’encre du stylo gelés.
Je décide de mettre un terme à l’expérience. J’ai un rendez vous pour un poste de secrétariat cet après midi. Je me demande encore quel type d’entreprise filoute est intéressée par une jeune quadragénaire avec un CV comme le mien. Mais j’irai quand même.
J’ai un peu discuté avec les autres personnes engagées comme moi à la distribution des annuaires. Ils ont mon âge et plus, beaucoup plus parfois.
Quand je dis que je démissionne, le regard s’abaisse. Ils aimeraient eux aussi, mais n’ont ni mon espoir, ni mon inconscience, ni mon orgueil. Il y a donc plus brisé que moi. J’ai eu envie de leur demander leurs coordonnées, de venir les filmer avec mon caméscope et de les faire parler de ce qu’ils vivent. C’est monstrueux cette détresse qui fait accepter tous les esclavages. Mais je n’ai pas pu leur soumettre mon idée, nous n’étions pas seuls, je risquais de les compromettre, et ils sont repartis vers leurs pauvres vieilles voitures toutes propres parce qu’on leur a dit qu’il fallait soigner l’image de marque.
Nous sommes sous Louis XV.
Le prochain monarque va se vouloir humaniste et sa décapitation sera orchestréedé par ceux là mêmes qui nous piétinent aujourd’hui.
Je me souviens de mes livres d’histoire.
Je veux me battre, y croire encore. Vous verriez mes enfants quand ils sont beaux et enjoués ! Mais quel monde ai-je à leur offrir ?
Courage à la personne qui vit ces difficultés, par respect pour autrui, et n"ayant pas les moyens de la joindre, je voulais juste mettre l'accent sur les difficultés inhérentes à la vie du musicien. Courage à cette personne que je ne cite pas, et je lui souhaite tout le bonheur du monde car oui, sa vie est précieuse et son témoignage est gage de fierté, courage à toi.
Bonjour,
Je suis une femme de 39 ans, divorcée, 2 enfants à charge de 12 et 6 ans. En 1988, j’ai entamé à Bordeaux une carrière de chanteuse de jazz. Ça a plutôt bien fonctionné pendant une quinzaine d’année : des concerts, deux albums, beaucoup de stages et d’enseignement du jazz vocal. Je m’étais faite une réputation dans le sud ouest. Je n’ai jamais dépassé le succès d’estime. J’ai donné beaucoup d’amour de l’art et d’énergie à cette carrière, tout en refusant de renoncer à ma vie de famille. Cela semblait vouloir fonctionner correctement ainsi, sans gloire médiatique, avec ce qu’il fallait pour vivre et réinvestir dans les nouveaux projets. J’étais intermittente de spectacle.
Puis en 2000, pendant ma deuxième grossesse, clash dans mon couple. Sale divorce, dépression, lutte pour la survie : mon état de santé ne me permet plus de faire face à mes commandes, je refuse les concerts et les engagements pédagogiques, et je refile le bébé à des collègues chanteuses du cru. On fait donc d e moins en moins appel à moi, mais je me débrouille pour sortir mon deuxième album en 2001, et surfe sur la vague des bonnes critiques qui me permet de vivoter de concerts jusqu’en 2003. A la fin de cette année-là, on me propose des opportunités d’enseignement du jazz vocal dans une école parisienne. Je prend cela comme un coup de pouce du destin, et vient m’installer près de Paris avec mes enfants et l’homme avec qui j’ai refait ma vie en 2002. Nouveau coup dur : les revenus de ces cours ne suffisent pas à mes charges, et mon compagnon, musicien professionnel ayant travaillé avec des artistes français réputés et aux Etats Unis, sombre dans une grave dépression suite à une surdité brusque, accident de carrière courant dans la vie d’un batteur. C’est du Zola, penserez vous, mais c’est du « Zola ordinaire ».
Ce genre de déchéance est courant chez nombre d’artistes qui ont commencé leur carrière dans les années 80 en apprenant à dépendre d’un statut d’intermittent du spectacle qui semblait acquis. C’était le piège. Nous avions le bonheur et le luxe d’être soutenu par l’état dans l’exercice de notre métier. Pas de quoi forcément faire un emprunt pour acheter une maison, car dans ces métiers tout ce que l’on gagne est réinjecté dans de nouveaux projets qu’il faut promouvoir soi-même, quand on fait partie des 80% d’artistes non signés, sans agent. Mais le bonheur de donner sans compter, dans un monde déconnecté des réalités sombres qui se profilaient, voué à notre plaisir de jouer et au plaisir que l’on donnait aux auditeurs. Nous ignorions, pauvres adulescents, que nous dépendions du bon vouloir du prince.
Aujourd’hui, le prince en a assez de donner pour nous. Nous avons quarante ans et nous ne savons être que des ménestrels.
J’ai dû réagir, vite : j’avais mes deux enfants et cet homme perdu à nourrir, soutenir, aimer. Un ami, - merci encore-, m’aide à décrocher un poste de secrétaire dans l’entreprise où il est ingénieur informatique. En trichant sur le CV, et avec ma pratique de l’ordinateur pour démarcher et vendre mes projets, j’y arrive.
L’adaptation est terrible, mais il faut que je tienne bon. On compte sur moi. Enfin, les enfants, car mon compagnon ne compte plus sur rien, il est à la dérive.
Je vis le « stupeur et tremblements » d’Amélie Nothomb. J’apprends qu’une femme se ferme sa gueule dans le monde du travail traditionnel. C’est cuisant quand on a été habituée à être reçue avec des bouquets de fleurs dans les loges de ses divers lieux de concerts. J’apprends que si on est pas trop moche, il vaut mieux mettre une tenue de souris grise si on ne veut pas être harcelée. Et si l’on accepte pas les blagues à la cantonades de ces messieurs complices, on est une bêcheuse qui ne se prend pas pour n’importe qui. Sans compter l’animosité des autres femmes qui vous trouvent un je ne sais quoi d’agaçant dans votre manière d’être.
On apprend à faire des choses inutiles, à gaspiller des masses astronomiques de papier et à être payée pour ne rien faire de longues journée, puis à être harassée de travail qui est à rendre « hier » pour des gens charrettes qui se prennent pour des génies qui ne savent travailler que dans l’urgence.
Bon. On s’accroche. Premier CDD reconduit. Et au bout de la deuxième tranche de six mois, je n’en peux plus. Je ne reconduis pas. Je me sens glisser à nouveau dans la dépression, il faut que je retrouve un job où je me sente utile. Mais qu’est-ce que je sais faire ? Chanter, enseigner le chant, écrire des textes de chansons, composer, et parler de musiques. C’est déjà pas mal me direz vous. Mais un an de traitement ordinaire de la femme secrétaire, cela a suffit à me faire perdre toute confiance en mes aptitudes créatrices. Même si j’ai des contacts avec des musiciens en vue, je suis totalement déconnectée du milieu. Je ne fonctionne plus comme eux. Et le monde du show biz avec ses faux semblants, ses fausses valeurs, me terrorise carrément maintenant. Bref, elle est perdue, la fille.
Après quelques mois à chercher à nouveau du travail, tout en ayant réussi à décrocher quelques heures de cours dans une association, je dois constater que mon CV ne suscite pas l’intérêt des annonceurs de l’ANPE. Trop chaotique, trop atypique. Je ne sais pas si je dois parler de mes activités artistiques (vous allez vous ennuyer chez nous, madame) où bien passer pour une mère au foyer qui veut reprendre sa vie professionnelle sur le tard ( mais avec vos enfants, comment allez vous vous organiser).
En fin de droits, je viens d’être recrutée par une entreprise de distribution des annuaires France Télécom sur le 94. Pour distribuer 540 annuaires, en mettant à disposition de l’entreprise mon propre véhicule, je suis rétribuée 41 euros bruts. A la fin de la première journée, j’en ai distribué 200, dans des quartiers où j’ai eu peur, et où l’on m’a abîmé ma voiture. Je rentre crevée. Je fais le calcul, il me faudra encore deux jours pour terminer ma distribution des 540. Trois jours à plus de huit heures quotidiennes pour gagner un peu plus de 32 euros. Il fait froid, il neige, il pleut, je dois monter les étages chargée, faire signer les abonnés pour preuve de ma distribution, rédiger des avis de passages en cas d’absence, avec les doigts et l’encre du stylo gelés.
Je décide de mettre un terme à l’expérience. J’ai un rendez vous pour un poste de secrétariat cet après midi. Je me demande encore quel type d’entreprise filoute est intéressée par une jeune quadragénaire avec un CV comme le mien. Mais j’irai quand même.
J’ai un peu discuté avec les autres personnes engagées comme moi à la distribution des annuaires. Ils ont mon âge et plus, beaucoup plus parfois.
Quand je dis que je démissionne, le regard s’abaisse. Ils aimeraient eux aussi, mais n’ont ni mon espoir, ni mon inconscience, ni mon orgueil. Il y a donc plus brisé que moi. J’ai eu envie de leur demander leurs coordonnées, de venir les filmer avec mon caméscope et de les faire parler de ce qu’ils vivent. C’est monstrueux cette détresse qui fait accepter tous les esclavages. Mais je n’ai pas pu leur soumettre mon idée, nous n’étions pas seuls, je risquais de les compromettre, et ils sont repartis vers leurs pauvres vieilles voitures toutes propres parce qu’on leur a dit qu’il fallait soigner l’image de marque.
Nous sommes sous Louis XV.
Le prochain monarque va se vouloir humaniste et sa décapitation sera orchestréedé par ceux là mêmes qui nous piétinent aujourd’hui.
Je me souviens de mes livres d’histoire.
Je veux me battre, y croire encore. Vous verriez mes enfants quand ils sont beaux et enjoués ! Mais quel monde ai-je à leur offrir ?